La trève
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Que vous soyez ou non croyant, que vous soyez ou non «patriote», si
un choix vous est donné, ne vous laissez pas séduire par l'intérêt
matériel ou intellectuel, mais choisissez le domaine qui peut rendre
moins douleureux et moins périlleux l'itinéraire de vos contemporains et
de vos descendants.
(dans : ??? )
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(au moment de la libération d'Auschwitz)
...Ils ne nous saluaient pas, ne nous souriaient pas; à leur pitié semblait
s'ajouter un sentiment confus de gêne qui les oppressait, les rendait muets
et enchaînait leurs regards à ce spectacle funèbre. C'était la même honte
que nous connaissions bien,celle qui nous accablait après les sélections et
chaque fois que nous devions assister ou nous soumettre à un outrage : la
honte que les Allemands ignorèrent, celle que le juste éprouve devant la faute
commmise par autrui, tenaillé par l'idée qu'elle existe, qu'elle ait été
introduite irrévocablement dans l'univers des choses existantes et que sa bonne
volonté se soit montrée nulle ou insuffisante et totalement inefficace.
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C'est pourquoi, pour nous aussi, l'heure de la liberté eut une résonance sérieuse
et grave et emplit nos âmes à la fois de joie et d'un douleureux sentiment de
pudeur grâce auquel nous aurions voulu laver nos consciences de la laideur qui
y régnait; et de peine, car nous sentions que rien ne pouvait arriver d'assez bon
et d'assez pur pour effacer notre passé, que les marques de l'offense resteraient
en nous pour toujours, dans le souvenir de ceux qui y avaient assisté, dans les
lieux où cela s'était produit et dans les récits que nous en ferions. Car, et
c'est là le terrible privilège de notre génération et de mon peuple, personne
n'a jamais pu, mieux que nous, saisir le caractère indélébile de l'offense
qui s'étend comme un épidémie. Il est absurde de penser que la justice humaine
l'efface. c'est une source de mal inépuissable : elle brise l'âme et le corps
de ses victimes, les anéantit et les rend abjects; elle réjaillit avec infamie
sur les oppresseurs, entretient la haine chez les survivants et prolifère de mille
façons, contre la volonté de chacun, sous forme de lâcheté morale, de négation,
de lassitude, de renoncement.
(La Trève, Grasset pages 14/15 traduit de l'italien par Emmanuelle Genevois-Joly)
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Les naufragés et les rescapés
Est-il nécessaire de le dire : à lire absolument
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On ne lit pas sans effroi les mots laissées par Jeau Améry, le philosophe autrichien
torturé par la Gestapo pour son activité dans la résistance belge, et déporté ensuite
à Auschwitz parce qu'il était juif:
« Qui a été torturé reste torturé.[...] Qui a subi le supplice ne pourra plus jamais
vivre dans le monde comme dans son milieu naturel, l'abomination de l'anéantissement ne
n'éteint jamais. La confiance dans l'humanité, déja entamée dès la première giffle
reçue, puis démolie par la torture, ne se réacquiert plus.»
La torture a été pour lui une mort interminale: Améry, s'est tué en 1978.
(p.25)
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Or, quiconque a une expérience suffisante des choses humaines sait que la distinction
(l'opposition, dirait un linguiste) bonne foi/mauvaise foi est empreinte d'optimisme
et de confiance dans l'homme...
(p.26)
[YF: Penser au message de Jésus: «Paix aux hommes de bonne volonté»]
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Le passage silencieux du mensonge à autrui à celui qu'on se fait à soi-même est utile:
qui ment de bonne foi ment mieux, joue mieux son rôle, est cru plus facilement par le
juge, par l'historien, par le lecteur, par sa femme, par ses enfants.
(p.27)
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Distinguer la bonne et la mauvaise foi se paie: cela demande une profonde sincérité
avec soi-même, exige un effort continuel, intellectuel et moral.
(p.28)
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En général, s'il est difficile de nier qu'on a commis une action donnée, ou que cette
actiona été commise, il est en revanche extrêmement facile d'altérer les motivations
qui nous ont conduit à un certain acte, ainsi que les passions qui, en nous, ont
accompagné cet acte.
(p.30)
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Du reste, l'histoire entière du « Reich millénaire » peut être relue comme une guerre
contre la mémoire, une falsification de la mémoire à la Orwell [YF: voir "1984" ], une
négation de la réalité allant jusqu'à la fuite définitive hors de la réalité.[...]
Son effondrement final n'a pas été seulement une délivrance pour le genre humain
mais aussi une démonstration du prix à payer lorsqu'on manipule la vérité.
(p.31-32)
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Le monde dans lequel on se sentait précipité était effrayant, mais il était aussi
indéchiffrable: il n'était conforme à aucun modèle.
(p.38)
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Mais malheur à vous si cette dignité vous pousse à réagir, c'est là une loi non écrite
mais d'airain: le « Zurückschlagen », répondre aux coups par des coups, est
une transgression intolérable qui ne peut venir qu'à l'esprit d'un « nouveau ».
(p.41)
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Le privilège, par définition, défend et protège le privilèger...
(p.41)
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L'ascension des privilèges, non seulement au Lager mais dans toutes les sociétés
humaines, est un phénomène angoissant mais fatal: ils ne sont absents que dans les
utopies. C'est le devoir de l'homme juste de faire la guerre à tout privilège non
mérité, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'une guerre sans fin. [...]
(p.41-41]
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C'est un jugement que nous voudrions confier uniquement à ceux qui ont eu la possibilité
de vérifier sur eux-mêmes ce que signifie le fait d'agir en état de contrainte.
Manzoni
[1785-1873] le savait bien: «Les provocateurs, les oppresseurs, tous ceux qui, d'une
façon quelconque, font tort à autrui, sont coupables, non seulement du mal qu'ils
commettent, mais encore du pervertissement auquel ils conduisent l'âme des offensés.»
(p.43-44)
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Il n'est ni facile ni agréable de sonder cet abîme de noirceur, et je pense cependant
qu'on doit le faire, car ce qu'il a été possible de commettre hier pourra être tenté à
nouveau demain, pourra nous concerner nous-mêmes ou nos enfants. On est tenté de
détourner les yeux et de tourner ailleurs son esprit: c'est une tentation qu'il faut
repouuser.
(p.53)
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.., or personne ne peut savoir combien de temps et à quelles épreuves son âme pourra
résister avant de céder ou de se briser.
(p.59)
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La faim épuise, la soif rend furieux:...
(p.78)
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Les « sauvés » du Lager n'étaient pas les meilleurs, les prédestinés au bien, les
porteurs d'un message : tout ce que j'avais vu et vécu montrait exactement le contraire.
Ceux qui survivaient étaient de préférences les pires, les égoïstes, les violents, les
insensibles, les collaborateurs de la « zone », les mouchards.[...] Les pires
survivaient, c'est-à-dire les mieux adaptés, les meilleurs sont tous morts.
(81)
(Gallimard 1989. Traduit de l'italien par André Maugé . )
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voir aussi:
Sur le suicide de Levi (anglais),
documents scolaires,
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